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Pourquoi nos patients consultent-ils en retard ?

Porter un diagnostic précoce d’intérêt ces dernières années en raison de son influence sur le pronostic des pathologies rhumatismales. L’exemple le plus éloquent est celui de la polyarthrite rhumatoïde où la fenêtre d’opportunité est de 3 mois voire de 6 semaines. A cet effet, des cliniques spécialisées ont vu le jour au Canada et dans certains pays de l’Europe pour pouvoir prendre en charge à tant ces patients.

De plus, les progrès réalisés ces dix dernières années dans tous les domaines de la rhumatologie, laisse entrevoir un avenir prospère pour notre discipline. Cependant, force est de croire que dans la pratique de tous les jours, on se trouve confrontés à une autre réalité imposée par des contraintes propres à notre pays. Le Maroc compte en 2011 environ 250 médecins rhumatologues affiliés à la Société Marocaine de Rhumatologie (moins d’un rhumatologue pour 100 000 habitants). Ce chiffre était en France il y a 10 ans, d’environ 4,3/100000 habitant. Si ces  données expliquent en partie les difficultés éprouvées par les patients pour accéder aux soins, d’autres paramètres entrent en ligne de compte pour expliquer les raisons qui poussent nos patients à consulter en retard.

A cet effet, l’équipe du service de Rhumatologie de l’hôpital Ibn Tofail de Marrakech sous la direction du Pr. El Hassani a réalisé une enquête auprès des médecins rhumatologues. Le but est de déterminer les causes des retards de consultations qui marquent notre quotidien. Mille patients rhumatisants ont été interrogés entre avril et septembre 2010 dans le secteur public et libéral. Les résultats de cette enquête ont été communiqués lors du dernier congrès national de Rhumatologie et avait suscitée l’intérêt de l’auditoire. Elle avait en effet mis en exergue le profil des patients qui nous consultent et surtout les difficultés encourues pour arriver chez le rhumatologue.

Nos patients sont souvent indigents et nécessiteux

Les personnes interrogées dans cette enquête, sont jeunes (49 ans en moyenne) et surtout de sexe féminin (73.8 %).  La moitié des patients étaient  analphabètes et 62 % étaient sans profession. Pour mémoire, le taux d’analphabétisme des adultes marocains lors du recensement de 2007 était de 55.6 % de la population générale. Les difficultés d’accès aux soins pour des raisons d’éloignement géographique ont été rapportées par 20 % des patients. De surcroit, près de 58 % des malades n’avaient aucune couverture sanitaire.

Un délai à la visite médicale dépassant les 3 mois à partir des premiers symptômes définit habituellement le retard à la consultation. Dans cette enquête, la majorité des patients (71 %) était retardataire à la consultation en rhumatologie. Les retards dépassant une année ont été observés chez 41%. Il n’y a que 8% des malades qui se présentent chez le rhumatologue 3 mois après le début de sa maladie.

Les retardataires avaient expliqué que ces délais aussi lents étaient dus :

–       au manque de moyens pour assurer les honoraires du médecin spécialiste,

–       aux médecins généralistes qui n’orientent pas à temps le malade quand la situation l’exige,

–       aux rendez-vous trop éloignés vis à vis de pathologies souvent douloureuses et qui ne permettent pas d’attendre,

–       aux croyances qui relayent la médecine à la seconde place après les traitements traditionnels.

–       à la possibilité d’avoir des médicaments sans prescription médicale,

Les traitements traditionnels ont un bel avenir au Maroc

Avant de venir consulter le rhumatologue, 76 % des patients avaient déjà essayé d’autres modalités thérapeutiques. Le traitement traditionnel et la phytothérapie (traitement par les plantes) étaient les préalables incontournables. Dix huit pour cent des patients font appel à la phytothérapie et 40 % aux recettes traditionnelles : saignées (16.2 %), points de feu (12.9 %), Jebbar (9.5 %), Moul fouta (6.7 %), Moulay Yarcoub (4.2 %), Marzouga (0.9 %), acupuncture (0.2 %), piqûres d’abeilles (0.1 %) et ventouses (0.1 %).

Si l’efficacité de ces procédés est très discutable et reste à évaluer dans les affections dégénératives, ils contribuent néanmoins au retard de prise en charge des maladies graves en l’occurrence les rhumatismes inflammatoires et les connectivites.

Les patients se retournent vers ces thérapies non conventionnelles pour une variété de raisons : le bas niveau d’instruction des patients, le manque de moyen pour acheter les médicaments en avançant parfois le prétexte de la toxicité des traitements invasifs, la préférence pour les médicaments naturels plutôt que synthétiques, et l’insatisfaction des résultats promis par les professionnels de la médecine moderne.

J’ai mal au dos! A quel saint se vouer?

Interrogés sur la spécialité la plus apte à s’occuper de leurs plaintes rhumatologiques, les patients ont déclaré qu’ils ont souvent l’habitude du bouche à oreille. Après le médecin généraliste, il n’y a que 13,5% des patients qui sont allés voire en premier lieu un rhumatologue. Les autres vont aller frapper à la porte d’autres spécialistes comme les traumatologues (8.6 %), les neurochirurgiens (2.5%), les neurologues (2.3 %) ou les internistes (0.6 %). D’après les patients, il existe une confusion concernant le nom que porte notre discipline. Ils se retrouvent facilement en traumaro-orthopédie où figure en arabe, sur la pancarte des médecins, « chirurgie des os et des articulations » ; chose qu’on ne retrouve pas avec le mot «rhumatologie ».

Un défi pour les rhumatologues : défendre les couleurs de la profession

C’est un enjeu pour les rhumatologues d’œuvrer à la définition des champs de compétence de la rhumatologie et d’affirmer son territoire. Le rhumatologue doit de plus en plus s’affirmer comme le spécialiste de pathologies telles que l’ostéoporose, la lombalgie, l’arthrose ou la spondylarthrite. En dehors des associations de patients, la communauté rhumatologique ne peut compter que sur elle-même pour défendre et surtout promouvoir la rhumatologie.

R. Niamane. Hôpital Militaire Avicenne. CHU Mohammed VI. Marrakech.

Cet éditorial  a été accompli avec l’accord de ses auteurs (H. CHERQUAOUI, A. BELKOU et S. ELHASSANI. Service de rhumatologie. Hôpital Ibn Tofail.CHU Mohammed VI.  Marrakech).

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